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7 avril 2009 2 07 /04 /avril /2009 01:46


Le coeur battant je suis l'homme dans la chambre obscure, sans âme, qui fut certainement le témoin secret de tant de scènes inavouées ou inavouables. Sans mot j'enlève ma robe et la pose délicatement sur la chaise. Mon string près du sac, sur la petite table en bois. J'ôte mes talons. L'homme pose discrètement les billets sous le sac. Maintenant je suis à lui. Mon corps lui appartient. Il ignore en vérité que je suis ailleurs, très loin de lui, le flou déjà. Tuer le temps d'ici là. Sortir du décor.
Je déambule dans les rues...regarde les vitrines bien décorées des magasins. Dresser mentalement la liste des courses à faire pour le repas du soir. Réfléchir à plusieurs recettes pour cela. Lasagnes ou... gratin dauphinois ? Hésiter. Puis soudain je me retrouve dans un grand pré à l'orée d'un petit bois, parsemé de boutons d'or. Courir à perdre haleine. Le vent fouettant le corps, mon corps moite brûlé par le soleil cuisant, collant la robe à la peau, longs cheveux crinière dorée au vent. Gazouillis des oiseaux. Longues ailes déployées d'une buse qui semble me regarder et tournoie autour de moi, haut dans le ciel. Ouvrir des portes sans battant et rejoindre la beauté qui fait signe. Le murmure de la rivière. Plein les oreilles. Un flot de musique s'en échappe et m'invite. Se jeter dans l'eau glacée n'est que pure merveille. Enchantement d'être seule au monde si ce n'est entourée d'une multitude de poissons dansant une folle farandole autour de moi et venant humer mon corps, le frôlant timidement. Ils n'ont pas peur, essaient de m'apprivoiser. N'oser bouger...
Pendant ce temps bouche ouverte, haletant, le corps dressé, l'homme. Il s'enfonce dans ma chair. Mains agrippées à ma chevelure. Incessant va-et-vient dans la blessure ouverte. Il s'immobilise. Il est trop tôt. Silence. Yeux fermés. L'homme savoure sa puissance. Le balancement du corps reprend. Lentement. Il y a une voiture qui freine brutalement, j'ai peur, sûrement un chat a dû traverser la route, pourvu que...
De grosses gouttes de sueur aigre tombent sur mon visage. Se retenir de vomir. Détourner la tête. Ne pas sentir ce souffle chaud, respiration bruyante. Ecoeurement. Laisser le corps tressaillir à chaque mouvement de l'homme. Ne pas m'embrasser. Vouloir ma bouche intacte.
Je pense à M. face à son contrôle de grammaire. Elle avait bien révisé la veille, oui elle aura une bonne note. Elle est première de sa classe. Il pleut dehors. La pluie tape fort contre les volets fermés. Pourvu que S. n'ait pas une otite. Il est fragile. Il a souvent des otites, c'est tellement douloureux. Il faut qu'il pense à mettre sa capuche pendant la récréation. Mais il est tellement tête en l'air...Il vit sur son nuage. Comme moi. Je songe au nombre de fois qu'il s'est perdu au marché. Lui tenir la main, toujours, bien fermement. Enfant, moi aussi me perdais toujours dans la foule. Une fois les gendarmes m'avaient cherchée jusque tard dans la nuit. Toute la ville s'était mobilisée. On m'a retrouvée à 23 heures au bout de la ville, près du cinéma Caméra. J'avais huit ans. Mes parents heureux ne m'avaient pas grondée. L'homme pousse des cris sauvages. Il continue de labourer ma chair. Il s'essouffle. Il s'époumonne. Il veut que je crie. La tempête fait rage à présent au-dehors. La mer doit être furieuse. De grosses vagues frappent sûrement les maisons trop près de la plage. Et s'il y avait une inondation ? Cela arrivait souvent. Penser aux enfants à récupérer à la sortie de l'école mais si les routes sont coupées...Le corps de l'homme pèse. Lourd. M'écrase. Va-et-vient saccadé. De plus en plus brutal. Et le long cri de jouissance s'échappe de la bouche baveuse. L'homme est heureux. Je pense à une sangsue. Ce sont de drôles de bêtes tout de même...

Me lever, allumer une cigarette et aller me laver.

Texte protégé
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commentaires

S
très fier de t'avoir dans ma communauté... un texte une histoire et un style qui me plait beaucoup @ tres vite bises
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M
Ecrit et vécu Thierry. C'est ainsi que cela se passait. "JE" n'était pas là...Merci à toi.
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T
Fantastiquement écrit, le décalage entre la réalité et le monde que tu te fais est d'une violence propre à faire réaliser au lecteur la folie de cette situation.J'ai du respect pour ton courage, celui de porter cela devant les yeux des autres.AmitiéThierry
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  • : Maelström
  • : Longue histoire que cette perte de soi... Un récit douloureux. Un exutoire. Une femme à côté de son corps durant 28 ans. Cette femme : moi. Un récit aussi où la prose prend une grande part.
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